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Ma parole
19 août 2013

L’Afrique face au défi de l’industrialisation

L’Afrique face au défi de l’industrialisation

 

ZONGO Z. Zéphirin

 

 « L’industrialisation de l’Afrique a été faible et incohérente. Durant la période 1980-2009, la part de la valeur ajoutée manufacturière dans le PIB avait légèrement augmenté en Afrique du Nord, de 12,6 % à 13,6 %, mais avait chuté de 16,6 % à 12,7 % dans le reste du continent ». Cette citation vient du rapport économique pour l’Afrique, version 2013. L’industrialisation ne marche donc pas pour l’Afrique ou alors, elle marche difficilement est-on tenté de dire ou encore à quand l’Afrique industrielle ? Mais cette situation semble ne pas être nouvelle et ont ses origines dans l’histoire industrielle de l’Afrique.

 

Une industrialisation historiquement douloureuse

 

L’analyse de l’histoire de l’industrialisation en Afrique  permet de ne pas être surpris par les résultats notés ci-dessus. D’ailleurs les auteurs dudit rapport estiment que la lente industrialisation du continent trouve ses causes profondes dans les stratégies mises en œuvre durant les périodes coloniales ainsi que les stratégies d’industrialisation volontaristes entreprises par les Etats. En effet, l’industrialisation en Afrique débute dans un contexte colonial qui lui assigne alors une vocation coloniale qui est l’approvisionnement de la métropole en matières premières. Ce fut le cas notamment dans les industries extractives. Cette stratégie qui ne résultait pas d’une volonté d’industrialisation des pays mais de la volonté manifeste de satisfaire les besoins de matières premières, a posé les fondements d’une extraversion  aux conséquences regrettables pour l’industrie en Afrique. La production industrielle est tournée vers l’extérieur et aucune mesure d’intégration intérieure n’était envisagée. Il en résulte bien sûr une faible création de valeur ajoutée qui est à l’origine de la création de la richesse d’une nation. Après les indépendances, les dirigeants africains décident de mettre en place des politiques industrielles qui ont commencé dans les années 50 mais plus particulièrement dans les années 60 et 70.  A cette période, beaucoup de pays en développement avaient mis en œuvre des politiques volontaristes de croissance industrielle et deux modèles se distinguaient : le modèle d’Industrialisation par Substitution d’Importations (ISI) et le modèle d’Industrialisation par Substitution ou Promotion d’Exportations (IPE).

La plupart des pays africains ont alors mis en place la stratégie d’import-substitution (modèle ISI) qui consiste au développement de la production locale de telle manière à ce que certains biens et services jadis importés soient désormais produits à l’intérieur des pays. Malheureusement, ce modèle qui a été diversement mis en œuvre dans les pays en développement a connu des résultats mitigés mais il peut être soutenu qu’il n’a pas permis une industrialisation conséquente en Afrique comparativement à l’Amérique Latine ou l’Asie. Certains de ces pays latino-américains et asiatiques (Mexique, Brésil, Taïwan, Chine,..) avaient adopté la seconde stratégie qui consistait en la promotion des exportations, donc à l’insertion de l’économie mondiale. Pour l’Afrique, la crise de la dette des années 80 va finalement remettre en question ce modèle de développement qui peinait d’ailleurs à montrer ses preuves. Ce fut alors l’avènement des Programmes d’Ajustement Structurels (PAS) sous la houlette des institutions de Breton Woods que sont la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International (FMI). De nombreux analystes soutiennent  toujours de nos jours, que ces programmes ont aggravé la situation de l’industrie en Afrique. Il est donc clair que l’industrialisation en Afrique a connu et connait toujours une histoire douloureuse. Pourtant il est important pour l’Afrique d’emprunter la voie de l’industrialisation pour une création de valeur ajoutée, source d’emplois,  de richesse donc de croissance économique.

 

Faible contribution de l’industrie au Produit Intérieur Brut des pays africains

 

L’histoire de l’industrialisation permet de se rendre compte de la longue hibernation des progrès industriels. Ce n’est donc pas étonnant que le continent demeure à la traine à ce sujet. En effet, comme le souligne le rapport économique pour l’Afrique (2013) du Conseil Economique pour l’Afrique (CEA), l’industrialisation de l’Afrique a été non seulement faible mais aussi irrégulière. Pour preuve, de 1980 à 2009, la part de sa valeur ajoutée dans le PIB a faiblement progressé en Afrique du Nord, allant de 12,6 %  à 13,6% pendant qu’elle a reculé de 16,6 % à 12,7 % dans le reste de l’Afrique. Le drame est que cette baisse est très importante pour certains pays. C’est le cas au Tchad, en République Démocratique du Congo et au Rwanda où elle a reculé d’environ 60 %, de même qu’en Zambie d’environ 50 % et d’un tiers au Kenya, au Malawi et en Afrique du Sud même si quelques pays comme le Lesotho, la Tunisie, l’Ouganda et le Swaziland ont montré des tendances positives (rapport économique pour l’Afrique, 2013). Face à une telle situation, quelles stratégies peut encore adopter l’Afrique pour un renouveau industriel ? Après les stratégies d’import-substitution et/ou de promotion des exportations, que reste-t-il à l’Afrique dans ce 21ème siècle pour une relance industrielle ?

 

L’industrialisation fondée sur les ressources

 

Les échecs des stratégies traditionnelles d’industrialisation posent la nécessité d’une réorientation de la dynamisation de l’industrialisation en Afrique, indispensable pour faire face aux nombreux défis dont ceux de l’emploi et de la lutte contre la pauvreté. A ce sujet, selon les perspectives économiques données par l’institut Coe-Rexecode en 2011 pour l’Afrique, la population africaine devrait doubler d’ici à 2050 pour atteindre 2,2 milliards d’individus, soit presque un quart de la population mondiale. La question que l’on peut se poser est de savoir si cet important bouleversement démographique s’accompagnera d’une forte croissance économique dans la mesure où les deux phénomènes ne coïncident pas toujours. Ce fut le cas entre 1980 et 1995, période au cours de laquelle la population s’est accrue de 2,7 % par an en moyenne pendant que la croissance du PIB n’a été que de 2,3 % par an. Le PIB par habitant pour l’ensemble du continent a donc reculé à un rythme annuel moyen de 0,4 %.

 

Pour éviter un tel scénario susceptible d’avoir des conséquences socio-politiques très importantes, il est urgent que l’industrie soit mise à contribution. C’est dans ce sens que l’appel du CEA pour une industrialisation fondée sur les ressources naturelles peut être utile. Dans ce rapport, le CEA invite les Etats africains à « tirer le plus grand profit des produits de base africains ». Et pour cause, l’Afrique possède environ 12 % des réserves mondiales de pétrole, 42 % des réserves d’or, entre 80 et 90 % des réserves de métaux du groupe du chrome et du platine, 60 % des terres arables et de vastes ressources en bois. D’autres valeurs sont contenues dans le tableau ci-après et traduisent l’importance de l’Afrique dans la production de certains métaux précieux.

 

Tableau: Part de l’Afrique dans la production et les réserves mondiales (en pourcentage)

Métaux

Réserves

Production

Métaux du   groupe du platine

60+

54

Or

42

20

Chrome

44

40

Manganèse

82

28

Vanadium

95

51

Cobalt

55+

18

Diamants

88

78

Aluminium

45

4

Source : BAD (2008)[1]

 

Malgré cette richesse en ressources naturelles, l’Afrique semble se plaire toujours dans une situation d’insertion primaire au commerce international se contentant volontairement ou non d’exporter les matières premières sans ou avec une très faible transformation. Pourtant, il est clair que l’exportation de ces matières en l’état crée faiblement de la valeur ajoutée. De ce fait, les créations d’emplois restent minimes, les effets sur la croissance sont perceptibles sans qu’il n’y ait toujours un véritablement effet d’entrainement sur le reste de l’économie. La conséquence de cette situation est que les exportations des pays sont faiblement diversifiées et très souvent elles sont dominées par un ou deux produits. Ce fut le cas pendant longtemps au Burkina-Faso avec le coton et maintenant l’or. Le tableau suivant donne l’indice de concentration des produits d’exportation qui mesure le degré de concentration des exportations d’un pays. De fait, les pays industrialisés se caractérisent par des valeurs proches de zéro, ce qui signifie une forte diversification des secteurs d’exportation.

 

 

 

 

 

 

Tableau: Indices[2] comparatifs de concentration des exportations, par région (1995 et 2011)

 

Indice de concentration des exportations

1995

2011

Afrique

0,24

0,43

Afrique sauf Afrique du Sud

0,34

0,51

Amérique Latine

0,09

0,13

Asie

0,09

0,12

Economies en développement à faible revenu

0,14

0,25

Source: UNCTADStat[3]

 

Pourtant, l’Afrique gagnerait à se lancer dans une logique de transformation de ses ressources en vue d’en tirer le maximum de profit. Pour ce faire, la voie explorable par les pays africains, parmi tant d’autres, demeure donc celle d’une industrialisation qui se fonde sur les ressources naturelles du continent. Il en résulte alors l’impérieuse nécessité de favoriser en Afrique l’intégration fonctionnelle de certaines activités qui viserait à la création de chaînes de valeur mondiale (CVM). Les chaines de valeur consistent en l’établissement de liens entre les différentes étapes que peut suivre un produit allant des activités d’extraction, des différentes transformations nécessaires à la mise à disposition pour une consommation finale. La création de richesse, d’emplois se trouvent dans ces chaines de valeurs et peuvent avoir des effets d’entrainement importants pour le reste de l’économie. On s’imagine comment un simple site d’exploitation peut devenir un pôle de croissance ou d’activités susceptibles d’avoir des effets induits très importants somme le souhaitent certaines des autorités au Burkina-Faso concernant les sites aurifères. Sans l’émergence de véritables chaines de valeurs, de telles ambitions resteraient vaines et ce ne serait pas surprenant. En plus, les créations d’emplois dans un tel contexte peuvent être importantes à court terme mais à long terme elles ne seront pas suffisantes pour contribuer significativement à la lutte contre le chômage. Pourtant, en exportant leurs matières premières, les pays africains exportent des emplois et de la richesse pour d’autres pays. Par exemple, jusqu’à 90 % du revenu total du café, calculé au prix de détail moyen d’une livre de café torréfié et moulu, va aux pays consommateurs. Un autre exemple est donné par la CVM du diamant dont la grande partie de la rente se produit au stade de l’extraction. Cependant, la valeur de détail des produits travaillés de bijouterie est trois fois plus élevée que celle du diamant brut. Malheureusement, les producteurs de diamant sur le continent africain sont exclus de toute activité de transformation en aval telle que le tri, la valorisation et la classification. Sans considérer ces pertes de richesses, il est aussi important de noter que les prix des matières premières brutes sont beaucoup plus volatiles que celles transformées. Ces fluctuations annuelles peuvent aller de 23% pour les produits de base transformés contre 13% pour ceux transformés. Il est donc temps que des mesures soient prises parce que, malheureusement dans nos Etats, les débats portent parfois plus sur ce que les exploitations des produits de base rapportent aux caisses de l’Etat plutôt que sur la nécessité et l’urgence de création de chaînes de valeurs.

 

Les défis face à l’industrialisation fondée sur les ressources

Comme toute stratégie de développement, la stratégie d’industrialisation fondée sur les ressources naturelles, portée par la CEA dans son rapport de 2013, n’est pas une solution miracle ou simpliste. De nombreux obstacles existent dont l’escalade des tarifs douaniers, le manque d’infrastructures adéquates, l’insuffisance de capital humain et de capitaux financiers entre autres. De l’ensemble de ces obstacles, il est clair que le premier reste un grand défi. En effet l’escalade des tarifs douaniers est le fait que les taxes douanières appliquées à un produit augmentent avec le niveau de transformation du produit. Autrement dit, un produit de base qui n’a pas subi de transformation fera face à un tarif douanier moins important que s’il avait subi une quelconque transformation. Cette situation est une source de découragement et cause un problème de compétitivité et de rentabilités. Un pays compétitif en termes de prix dans un produit donné peut avoir des difficultés d’exportation s’il décidait de transformer le produit, car ses prix seraient désormais plus élevés et il ne pourrait compétir avec d’autres pays qui le seraient artificiellement.

Un autre défi à relever est l’étroitesse des marchés car comme le dit Adam Smith à propos des limites à la division du travail, « il y a certains genres d'industrie, même de l'espèce la plus basse, qui ne peuvent s'établir ailleurs que dans une grande ville » (Smith, 1776)[4]. Il est nécessaire d’avoir un marché important pour une industrialisation conséquente. Pourtant, l’Afrique ne peut pas uniquement compter sur les autres régions du monde que sont l’Europe, l’Amérique, l’Asie. Il est aussi nécessaire que l’Afrique développe son marché intérieur, ce qui est lui d’être une tâche facile. En effet, Comparativement à d’autres grandes régions, le commerce intra-africain n’est pas très développé et oscille entre 10 et 12 %.

 

Conclusion

En définitive, les pays africains peuvent bien tirer profit de leurs dotations en ressources naturelles ainsi que les mutations intervenues dans l’économie mondiale. Des politiques volontaristes de transformation économique pour un renouveau de l’industrialisation peuvent être fondées sur les produits de base dans une optique de création de chaines de valeurs. Ces transformations qui peuvent avoir des effets d’entrainement très importants pour le reste de l’économie sont nécessaires à l’Afrique pour la lutte contre le chômage, la pauvreté, les inégalités et permettront aussi d’éviter dans une certaine mesure des risques de syndrome hollandais. Il appartient aux gouvernements africains de ne pas se complaire dans les rentes d’exploitation de leurs ressources mais de mettre en œuvre les politiques qui s’imposent.



[1] Pour plus de détails, voir le Rapport Economique pour l’Afrique, 2013.

[2] L’indice de concentration des exportations signifie qu’une valeur proche de 1 indique qu’une économie est plus dépendante des exportations d’un produit unique.

[3] Cité dans le Rapport Economique pour l’Afrique, 2013.

[4] Selon les textes rassemblés par Jean Dellemotte (2011)

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