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Ma parole

19 août 2013

L’Afrique face au défi de l’industrialisation

L’Afrique face au défi de l’industrialisation

 

ZONGO Z. Zéphirin

 

 « L’industrialisation de l’Afrique a été faible et incohérente. Durant la période 1980-2009, la part de la valeur ajoutée manufacturière dans le PIB avait légèrement augmenté en Afrique du Nord, de 12,6 % à 13,6 %, mais avait chuté de 16,6 % à 12,7 % dans le reste du continent ». Cette citation vient du rapport économique pour l’Afrique, version 2013. L’industrialisation ne marche donc pas pour l’Afrique ou alors, elle marche difficilement est-on tenté de dire ou encore à quand l’Afrique industrielle ? Mais cette situation semble ne pas être nouvelle et ont ses origines dans l’histoire industrielle de l’Afrique.

 

Une industrialisation historiquement douloureuse

 

L’analyse de l’histoire de l’industrialisation en Afrique  permet de ne pas être surpris par les résultats notés ci-dessus. D’ailleurs les auteurs dudit rapport estiment que la lente industrialisation du continent trouve ses causes profondes dans les stratégies mises en œuvre durant les périodes coloniales ainsi que les stratégies d’industrialisation volontaristes entreprises par les Etats. En effet, l’industrialisation en Afrique débute dans un contexte colonial qui lui assigne alors une vocation coloniale qui est l’approvisionnement de la métropole en matières premières. Ce fut le cas notamment dans les industries extractives. Cette stratégie qui ne résultait pas d’une volonté d’industrialisation des pays mais de la volonté manifeste de satisfaire les besoins de matières premières, a posé les fondements d’une extraversion  aux conséquences regrettables pour l’industrie en Afrique. La production industrielle est tournée vers l’extérieur et aucune mesure d’intégration intérieure n’était envisagée. Il en résulte bien sûr une faible création de valeur ajoutée qui est à l’origine de la création de la richesse d’une nation. Après les indépendances, les dirigeants africains décident de mettre en place des politiques industrielles qui ont commencé dans les années 50 mais plus particulièrement dans les années 60 et 70.  A cette période, beaucoup de pays en développement avaient mis en œuvre des politiques volontaristes de croissance industrielle et deux modèles se distinguaient : le modèle d’Industrialisation par Substitution d’Importations (ISI) et le modèle d’Industrialisation par Substitution ou Promotion d’Exportations (IPE).

La plupart des pays africains ont alors mis en place la stratégie d’import-substitution (modèle ISI) qui consiste au développement de la production locale de telle manière à ce que certains biens et services jadis importés soient désormais produits à l’intérieur des pays. Malheureusement, ce modèle qui a été diversement mis en œuvre dans les pays en développement a connu des résultats mitigés mais il peut être soutenu qu’il n’a pas permis une industrialisation conséquente en Afrique comparativement à l’Amérique Latine ou l’Asie. Certains de ces pays latino-américains et asiatiques (Mexique, Brésil, Taïwan, Chine,..) avaient adopté la seconde stratégie qui consistait en la promotion des exportations, donc à l’insertion de l’économie mondiale. Pour l’Afrique, la crise de la dette des années 80 va finalement remettre en question ce modèle de développement qui peinait d’ailleurs à montrer ses preuves. Ce fut alors l’avènement des Programmes d’Ajustement Structurels (PAS) sous la houlette des institutions de Breton Woods que sont la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International (FMI). De nombreux analystes soutiennent  toujours de nos jours, que ces programmes ont aggravé la situation de l’industrie en Afrique. Il est donc clair que l’industrialisation en Afrique a connu et connait toujours une histoire douloureuse. Pourtant il est important pour l’Afrique d’emprunter la voie de l’industrialisation pour une création de valeur ajoutée, source d’emplois,  de richesse donc de croissance économique.

 

Faible contribution de l’industrie au Produit Intérieur Brut des pays africains

 

L’histoire de l’industrialisation permet de se rendre compte de la longue hibernation des progrès industriels. Ce n’est donc pas étonnant que le continent demeure à la traine à ce sujet. En effet, comme le souligne le rapport économique pour l’Afrique (2013) du Conseil Economique pour l’Afrique (CEA), l’industrialisation de l’Afrique a été non seulement faible mais aussi irrégulière. Pour preuve, de 1980 à 2009, la part de sa valeur ajoutée dans le PIB a faiblement progressé en Afrique du Nord, allant de 12,6 %  à 13,6% pendant qu’elle a reculé de 16,6 % à 12,7 % dans le reste de l’Afrique. Le drame est que cette baisse est très importante pour certains pays. C’est le cas au Tchad, en République Démocratique du Congo et au Rwanda où elle a reculé d’environ 60 %, de même qu’en Zambie d’environ 50 % et d’un tiers au Kenya, au Malawi et en Afrique du Sud même si quelques pays comme le Lesotho, la Tunisie, l’Ouganda et le Swaziland ont montré des tendances positives (rapport économique pour l’Afrique, 2013). Face à une telle situation, quelles stratégies peut encore adopter l’Afrique pour un renouveau industriel ? Après les stratégies d’import-substitution et/ou de promotion des exportations, que reste-t-il à l’Afrique dans ce 21ème siècle pour une relance industrielle ?

 

L’industrialisation fondée sur les ressources

 

Les échecs des stratégies traditionnelles d’industrialisation posent la nécessité d’une réorientation de la dynamisation de l’industrialisation en Afrique, indispensable pour faire face aux nombreux défis dont ceux de l’emploi et de la lutte contre la pauvreté. A ce sujet, selon les perspectives économiques données par l’institut Coe-Rexecode en 2011 pour l’Afrique, la population africaine devrait doubler d’ici à 2050 pour atteindre 2,2 milliards d’individus, soit presque un quart de la population mondiale. La question que l’on peut se poser est de savoir si cet important bouleversement démographique s’accompagnera d’une forte croissance économique dans la mesure où les deux phénomènes ne coïncident pas toujours. Ce fut le cas entre 1980 et 1995, période au cours de laquelle la population s’est accrue de 2,7 % par an en moyenne pendant que la croissance du PIB n’a été que de 2,3 % par an. Le PIB par habitant pour l’ensemble du continent a donc reculé à un rythme annuel moyen de 0,4 %.

 

Pour éviter un tel scénario susceptible d’avoir des conséquences socio-politiques très importantes, il est urgent que l’industrie soit mise à contribution. C’est dans ce sens que l’appel du CEA pour une industrialisation fondée sur les ressources naturelles peut être utile. Dans ce rapport, le CEA invite les Etats africains à « tirer le plus grand profit des produits de base africains ». Et pour cause, l’Afrique possède environ 12 % des réserves mondiales de pétrole, 42 % des réserves d’or, entre 80 et 90 % des réserves de métaux du groupe du chrome et du platine, 60 % des terres arables et de vastes ressources en bois. D’autres valeurs sont contenues dans le tableau ci-après et traduisent l’importance de l’Afrique dans la production de certains métaux précieux.

 

Tableau: Part de l’Afrique dans la production et les réserves mondiales (en pourcentage)

Métaux

Réserves

Production

Métaux du   groupe du platine

60+

54

Or

42

20

Chrome

44

40

Manganèse

82

28

Vanadium

95

51

Cobalt

55+

18

Diamants

88

78

Aluminium

45

4

Source : BAD (2008)[1]

 

Malgré cette richesse en ressources naturelles, l’Afrique semble se plaire toujours dans une situation d’insertion primaire au commerce international se contentant volontairement ou non d’exporter les matières premières sans ou avec une très faible transformation. Pourtant, il est clair que l’exportation de ces matières en l’état crée faiblement de la valeur ajoutée. De ce fait, les créations d’emplois restent minimes, les effets sur la croissance sont perceptibles sans qu’il n’y ait toujours un véritablement effet d’entrainement sur le reste de l’économie. La conséquence de cette situation est que les exportations des pays sont faiblement diversifiées et très souvent elles sont dominées par un ou deux produits. Ce fut le cas pendant longtemps au Burkina-Faso avec le coton et maintenant l’or. Le tableau suivant donne l’indice de concentration des produits d’exportation qui mesure le degré de concentration des exportations d’un pays. De fait, les pays industrialisés se caractérisent par des valeurs proches de zéro, ce qui signifie une forte diversification des secteurs d’exportation.

 

 

 

 

 

 

Tableau: Indices[2] comparatifs de concentration des exportations, par région (1995 et 2011)

 

Indice de concentration des exportations

1995

2011

Afrique

0,24

0,43

Afrique sauf Afrique du Sud

0,34

0,51

Amérique Latine

0,09

0,13

Asie

0,09

0,12

Economies en développement à faible revenu

0,14

0,25

Source: UNCTADStat[3]

 

Pourtant, l’Afrique gagnerait à se lancer dans une logique de transformation de ses ressources en vue d’en tirer le maximum de profit. Pour ce faire, la voie explorable par les pays africains, parmi tant d’autres, demeure donc celle d’une industrialisation qui se fonde sur les ressources naturelles du continent. Il en résulte alors l’impérieuse nécessité de favoriser en Afrique l’intégration fonctionnelle de certaines activités qui viserait à la création de chaînes de valeur mondiale (CVM). Les chaines de valeur consistent en l’établissement de liens entre les différentes étapes que peut suivre un produit allant des activités d’extraction, des différentes transformations nécessaires à la mise à disposition pour une consommation finale. La création de richesse, d’emplois se trouvent dans ces chaines de valeurs et peuvent avoir des effets d’entrainement importants pour le reste de l’économie. On s’imagine comment un simple site d’exploitation peut devenir un pôle de croissance ou d’activités susceptibles d’avoir des effets induits très importants somme le souhaitent certaines des autorités au Burkina-Faso concernant les sites aurifères. Sans l’émergence de véritables chaines de valeurs, de telles ambitions resteraient vaines et ce ne serait pas surprenant. En plus, les créations d’emplois dans un tel contexte peuvent être importantes à court terme mais à long terme elles ne seront pas suffisantes pour contribuer significativement à la lutte contre le chômage. Pourtant, en exportant leurs matières premières, les pays africains exportent des emplois et de la richesse pour d’autres pays. Par exemple, jusqu’à 90 % du revenu total du café, calculé au prix de détail moyen d’une livre de café torréfié et moulu, va aux pays consommateurs. Un autre exemple est donné par la CVM du diamant dont la grande partie de la rente se produit au stade de l’extraction. Cependant, la valeur de détail des produits travaillés de bijouterie est trois fois plus élevée que celle du diamant brut. Malheureusement, les producteurs de diamant sur le continent africain sont exclus de toute activité de transformation en aval telle que le tri, la valorisation et la classification. Sans considérer ces pertes de richesses, il est aussi important de noter que les prix des matières premières brutes sont beaucoup plus volatiles que celles transformées. Ces fluctuations annuelles peuvent aller de 23% pour les produits de base transformés contre 13% pour ceux transformés. Il est donc temps que des mesures soient prises parce que, malheureusement dans nos Etats, les débats portent parfois plus sur ce que les exploitations des produits de base rapportent aux caisses de l’Etat plutôt que sur la nécessité et l’urgence de création de chaînes de valeurs.

 

Les défis face à l’industrialisation fondée sur les ressources

Comme toute stratégie de développement, la stratégie d’industrialisation fondée sur les ressources naturelles, portée par la CEA dans son rapport de 2013, n’est pas une solution miracle ou simpliste. De nombreux obstacles existent dont l’escalade des tarifs douaniers, le manque d’infrastructures adéquates, l’insuffisance de capital humain et de capitaux financiers entre autres. De l’ensemble de ces obstacles, il est clair que le premier reste un grand défi. En effet l’escalade des tarifs douaniers est le fait que les taxes douanières appliquées à un produit augmentent avec le niveau de transformation du produit. Autrement dit, un produit de base qui n’a pas subi de transformation fera face à un tarif douanier moins important que s’il avait subi une quelconque transformation. Cette situation est une source de découragement et cause un problème de compétitivité et de rentabilités. Un pays compétitif en termes de prix dans un produit donné peut avoir des difficultés d’exportation s’il décidait de transformer le produit, car ses prix seraient désormais plus élevés et il ne pourrait compétir avec d’autres pays qui le seraient artificiellement.

Un autre défi à relever est l’étroitesse des marchés car comme le dit Adam Smith à propos des limites à la division du travail, « il y a certains genres d'industrie, même de l'espèce la plus basse, qui ne peuvent s'établir ailleurs que dans une grande ville » (Smith, 1776)[4]. Il est nécessaire d’avoir un marché important pour une industrialisation conséquente. Pourtant, l’Afrique ne peut pas uniquement compter sur les autres régions du monde que sont l’Europe, l’Amérique, l’Asie. Il est aussi nécessaire que l’Afrique développe son marché intérieur, ce qui est lui d’être une tâche facile. En effet, Comparativement à d’autres grandes régions, le commerce intra-africain n’est pas très développé et oscille entre 10 et 12 %.

 

Conclusion

En définitive, les pays africains peuvent bien tirer profit de leurs dotations en ressources naturelles ainsi que les mutations intervenues dans l’économie mondiale. Des politiques volontaristes de transformation économique pour un renouveau de l’industrialisation peuvent être fondées sur les produits de base dans une optique de création de chaines de valeurs. Ces transformations qui peuvent avoir des effets d’entrainement très importants pour le reste de l’économie sont nécessaires à l’Afrique pour la lutte contre le chômage, la pauvreté, les inégalités et permettront aussi d’éviter dans une certaine mesure des risques de syndrome hollandais. Il appartient aux gouvernements africains de ne pas se complaire dans les rentes d’exploitation de leurs ressources mais de mettre en œuvre les politiques qui s’imposent.



[1] Pour plus de détails, voir le Rapport Economique pour l’Afrique, 2013.

[2] L’indice de concentration des exportations signifie qu’une valeur proche de 1 indique qu’une économie est plus dépendante des exportations d’un produit unique.

[3] Cité dans le Rapport Economique pour l’Afrique, 2013.

[4] Selon les textes rassemblés par Jean Dellemotte (2011)

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19 août 2013

mémoire de DEA

Résumé de mon mémoire de DEA dont le thème est: Secteur informel dans les pays d'Afrique de l'Ouest: Estimations et analyses (mémoire soutenu le 20 juillet 2012)

La question de la détermination de la taille du secteur informel demeure un sujet préoccupant. Le but de cette étude était d’analyser la contribution des activités informelles dans les pays de l’Afrique de l’Ouest et aussi les disparités dans les estimations de la taille du secteur informel. 

 

L’analyse conceptuelle contenue dans le chapitre 1 du mémoire a révélé que malgré l'abondance de la littérature sur le secteur informel, les chercheurs n'ont pas encore réalisé un consensus sur la définition du secteur informel. Mieux, les débats vont de plus en plus vers le rejet du secteur informel en tant que concept. Par ailleurs, la revue de littérature développée au chapitre 2 a aussi permis d’une part de se rendre compte de la disparité des estimations de la taille du secteur informel et d’autre part, le choix d’une méthode d’estimation.

 

En utilisant la méthode indirecte d’estimation MIMIC, l’étude a estimé la taille de l’économie informelle dans seize (16) pays d’Afrique de l’Ouest sur les périodes 2000-2010 et          2001-2010. Ces estimations montrent que la taille de l’économie informelle a baissé sur les périodes d’étude et ces pays ont un secteur informel dont la taille est respectivement en moyenne de 41,65% et 40,13% sur les deux périodes d’études. Ces résultats confirment par ailleurs la variation des estimations sur l’économie informelle d’où l’application de l’approche scientifique dénommée « méta-analyse » en vue de comprendre ces disparités. Ces points de divergence mettent en évidence le fait que l'estimation du secteur informel est beaucoup plus diffuse que l’on entend, et les résultats dépendent de nombreux facteurs plus ou moins intriqués dont l'influence est par ailleurs étudiée dans le présent travail.

 

L’approche statistique dénommée méta-analyse a consisté en la combinaison des résultats de dix-neuf (19) études empiriques distinctes réalisées entre 1996 et 2011 en plus des estimations effectuées au deuxième chapitre du mémoire pour une analyse formelle de la situation. L’analyse a donc porté sur 513 observations provenant de 20 études indépendantes mais similaires. On s'est attaché particulièrement à comprendre comment par exemple les différentes méthodes d’estimations, le choix des variables peuvent affecter les estimations de la taille de l’économie informelle. Les résultats de la méta-analyse suggèrent que les études se montrent très sensibles aux variables utilisées et à la méthode retenue.

19 août 2013

VISION ECONOMIQUE DE LA CULTURE ZONGO Z. Zéphirin

VISION ECONOMIQUE DE LA CULTURE

ZONGO Z. Zéphirin

 

En parcourant la Politique Nationale de la Culture (PNC) du Burkina-Faso, il apparaît que dans sa conception, elle devrait entre autres s’inscrire dans une « stratégie de renforcement de l’économie créative de la culture et de la capacité du secteur culturel à produire, de manière compétitive, des biens et services, à fournir des emplois et des activités génératrices de revenus ». Cette ambition témoigne clairement d’une vision économique de la culture qui est communément acceptée de nos jours. De ce fait, l’argument « culture = levier de développement économique » semble désormais admis dès lors que les analyses prennent en considération des aspects tels que les impacts en termes de création de valeur ajoutée (c’est-à-dire la contribution au Produit Intérieur Brut), de création d’emplois, de dépenses en biens et services culturels par les ménages et aussi en termes de recettes fiscales. C’est dire que la dimension économique de la culture est largement reconnue même si les chiffres en la matière ne sont pas d’une importance assez considérable. Mais, il faut sans doute tenir compte du fait que le secteur reste peu couvert par les statistiques.

 

Déjà on peut noter, selon « l’étude sur les impacts de la culture sur le développement social et économique du Burkina-Faso », qu’avec 164 592 personnes, les emplois dans le secteur culturel représentaient 1,78% des actifs occupés en 2009. Ces emplois culturels sont majoritairement occupés par les hommes à hauteur de 57,3% contre 42,7% pour les femmes. Quant aux dépenses des ménages en biens et services culturels, l’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD) les a estimées à plus de cinq (05) milliards de FCFA en 2007. Les activités culturelles contribuent ainsi à la création de la richesse nationale à hauteur de 2,02% du PIB en 2009[1]. Cette contribution a été constituée en grande partie par les activités de la filière artisanat, art appliqué qui totalise un montant de 54,391 milliards de francs CFA, représentant 68,27% de la valeur ajoutée totale créée par le secteur. Cette évolution de l’importance économique de la culture au Burkina-Faso s’accompagne aussi d’une certaine façon d’une évolution politique importante. Il convient de noter en passant que c’est en 1985, soit sous la Révolution Démocratique et Populaire, que le ministère a bénéficié du statut de ministère plein non rattaché à un autre. La première politique culturelle codifiée du Burkina-Faso date de 2005.  Après quatre ans de mise en œuvre, elle a été remplacée par une nouvelle politique culturelle. En termes d’allocations budgétaires, le ministère de la culture a connu une évolution positive de sa dotation budgétaire qui est passée d’environ 2,5 milliards de FCFA en 2007 à 7,9 milliards en 2010. Cependant, à partir de 2010, on observe une baisse du budget du ministère qui était d’environ 4,6 milliards en 2012. De 2010 à 2011 par exemple, il y’a eu une baisse de 48,65% alors que le budget de l’Etat était à son niveau le plus élevé depuis 2003. Quant aux investissements, ils sont passés de 1,2 milliards en 2007 à 3 milliards de FCFA  en 2010.

 

Ces données permettent d’apprécier l’importance économique de la culture qui reste relativement faible mais se trouve dans une dynamique d’évolution positive. L’essentiel se trouve dans la capacité reconnue du secteur culturel à contribuer à la création de la richesse nationale et donc à la croissance économique des pays. Ces aspects économiques paraissent peut-être pour évidents. Pourtant, l'analyse économique de l'art et des biens culturels en général est longtemps restée en dehors des limites de la science économique. C’est dire que les économistes ont, pendant longtemps, ignoré l’art et la culture qui étaient pratiquement des domaines d’études « hors champ ». L’intérêt de l’économiste pour ces domaines ne s’est véritablement opéré que durant la deuxième moitié du 20ème siècle. Malgré ce désintérêt sur le plan analytique, des économistes comme Adam Smith, John M. Keynes, Alfred Marshall, David Ricardo entre autres ont quelquefois écrit sur le sujet sans que cela ne soit structuré dans une logique d’analyse économique spécifique au domaine de la culture. Par exemple, selon A. Smith ou David Ricardo, les dépenses pour les biens et services culturels relèvent du loisir et ne sauraient contribuer à la richesse nationale. En effet, à ce sujet A. Smith écrit que « […] les gens de lettres de toute espèce, ainsi que les comédiens, les farceurs, les musiciens, les chanteurs, les danseurs d'Opéra, etc. » sont des travailleurs non productifs (Livre II, chap. 3.). Un peu plus loin, il ajoutera que « leur ouvrage à tous (les travailleurs non productifs), tel que la déclamation de l’acteur, le débit de l’orateur ou les accords du musicien, s’évanouit au moment même où il est produit ». Mais cette considération n’était pas de l’avis de l’économiste classique Jean-Baptiste Say selon qui « l'industrie d'un musicien, d'un acteur, donne un produit du même genre[2] ; elle vous procure un divertissement, un plaisir, qu'il vous est impossible de conserver, de retenir, pour le consommer plus tard, ou pour l'échanger de nouveau contre d'autres jouissances. » (Traité d’Economie Politique, Livre I, chap. 13). Plus tard Alfred Marshall[3] remarque et reconnaît « la loi qui fait que plus on écoute de la musique, plus le goût pour celle-ci augmente ».  Autrement dit, la demande d’un type de bien culturel est fonction de la consommation dudit bien : Plus on le consomme, plus on a envie d’en consommer. Cette analyse sur la consommation des biens culturels faisait sortir ce type de consommation du cadre du calcul à la marge cher aux économistes néoclassiques selon lesquels l’utilité marginale est décroissante.

 

C’est dire que jusque-là, sans que ne se dessine à proprement parler une économie de la culture, on voit progressivement émerger certains des concepts qui en constituent le socle : effets externes, investissements longs, spécificité de la rémunération incluant un fort degré d’incertitude, utilité marginale croissante, importance de l’aide publique ou privée. Mais ce seront les travaux de William BAUMOL et de William BOWEN sur l’économie du spectacle vivant, ceux de Gary BECKER sur la consommation de biens dont le goût s’accroît au fil du temps, et ceux d’Alan PEACOK et de l’école du « choix public »qui ouvriront les voies à une analyse économique de la culture. L’économie de la culture s’entend alors comme la branche de l’économie s'intéressant aux aspects économiques de la création, de la distribution et de la consommation d'œuvres d’art ou encore se réfère à l’ensemble d’activités, opérateurs et institutions qui opèrent ou qui ont une influence déterminante sur les secteurs de la culture et qui interagissent et développent des échanges avec un public et un marché. Quant à la notion d’industries culturelles, elle correspond aux secteurs d’activité ayant comme objet principal la création, le développement, la production, la reproduction, la promotion, la diffusion ou la commercialisation des biens, de services ou de manifestations à contenu artistique et/ou culturelle.

 

Des raisons qui ont contribué à l’émergence d’une vision économique de la culture, trois peuvent être retenues : la mise en avant de la capacité du secteur à générer des flux de revenus et d’emplois, la nécessité d’évaluer les décisions culturelles et, au plan théorique, le développement de l’analyse économique vers des champs nouveaux tels que l’économie des activités non marchandes, l’économie des organisations, l’économie de l’information et de l’incertitude. Mais dans les années 1970, ce sont les subventions qui dominaient le secteur d’où la nécessité de justifier économiquement ces soutiens gouvernementaux. D’ailleurs les auteurs Baumol et Bowen dans leur article fondateur publié en 1966 montrent que les acteurs culturels ne peuvent survivre que par l’appui des subventions publiques sans lesquelles ces activités auraient de la peine à se développer. En effet, pour ces auteurs, l’activité culturelle de façon générale et plus spécifiquement le spectacle vivant fait face à une croissance inexorable de leurs coûts alors que la productivité des acteurs n’augmente pas. Pour illustrer cela, supposons un spectacle qui nécessitait la mobilisation de dix (10) comédiens pour une durée de deux (02) heures en 2000 et pour un coût donné. Pour donner le même spectacle en 2013, on aura toujours besoin certainement de dix (10) comédiens et un temps de deux (02) heures. Mais ce dernier spectacle n’aura pas le même coût qu’en 2000 en ne considérant que la rémunération des acteurs qui augmentera. D’où l’idée d’une augmentation des coûts face à une absence de gains de productivité puisqu’on aura toujours besoin du même nombre d’acteurs et du même temps. Les acteurs ont donc besoin des subventions pour pouvoir supporter cette croissance des coûts et éviter le déclin. Ce paradoxe est baptisé « la maladie des coûts » par les auteurs et connue dans la littérature sous l’appellation de « Maladie de Baumol ».

 

Cette situation prévaut toujours dans nos pays où le secteur culturel, malgré l’importance de son rôle économique, peine à s’insérer véritablement dans une logique de rentabilité. Les financements sont toujours dominés par les subventions que ce soit de la part des autorités gouvernementales ou des partenaires techniques et financiers. Par exemple, le ministère de la culture du Burkina-Faso dispose d’un fond d’environ 185 millions qui devrait permettre d’appuyer financièrement et sous forme de subvention les acteurs culturels (Appuis aux activités culturelles, musique, cinéma). Au titre de l’année 2012, le montant des subventions accordées à travers le Comité chargé de l’Examen des Requêtes de Financement des Activités Culturelles (CERFAC) s’élève à 28,9 millions de FCFA. Du côté des partenaires bilatéraux et multilatéraux, les subventions dans les domaines de la culture et des loisirs s’élèvent à plus de 9, 8 milliards de 2005 à 2011. Même si les subventions ne sont pas les sources principales de financement des acteurs culturels, il n’en est pas moins qu’elles demeurent relativement importantes. Cette prépondérance traduit clairement l’assignation traditionnelle d’une vocation sociale à la culture. Pourtant, le Burkina-Faso est un pays qui est connu pour ses nombreuses manifestations culturelles. On peut citer le FESPACO, le SIAO, le SITHO, la SNC et les associations culturelles privées des Recréatrales, de Jazz à Ouaga, de Waga Hip hop, des Rencontres chorégraphiques Dialogues du corps, du Wedbindé, du Liwaga. Chacune de ces manifestations draine, à chaque édition, un public international, africain et national important. Ce dynamisme culturel devrait favoriser l’émergence d’une culture tournée vers la recherche de profits impliquant de ce fait les structures de financement classiques que sont les banques et les établissements financiers. Mais cela tarde à venir.

 

Dans tous les cas, cette évolution conceptuelle du rôle de la culture et de la logique d’intervention des acteurs culturels qui reste bien nécessaire, justifierait difficilement à priori une mise en quarantaine des subventions dans la mesure où la culture comporte des aspects marchands et non marchands. En effet, il importe d’avoir des sources de financement à but non lucratif (subventions, mécénat d’entreprise, mécénat individuel, financement en provenance de la coopération bilatérale et multilatérale,...) qui doivent rester fondées sur une logique de soutien et de promotion des secteurs culturels et d’autres (financement bancaire, sponsoring, financement en capital des entreprises culturelles,…) fondées par contre sur une logique de rentabilité économique directe ou indirecte. Cette double nécessité se justifie par le fait que les industries culturelles sont non seulement à la base de création de richesses marchandes mais aussi des sources de valeur symbolique et identitaire. Par conséquent, l’articulation « financement marchand/financement non-marchand » semble alors être devenue de nos jours le défi auquel sont confrontés les gouvernements des pays en développement en général et ceux du Burkina-Faso en particulier. Ce défi se trouve dans la nécessité de concilier d’une part la logique du marché fondée sur la recherche du profit et la logique d’une culture orientée vers la création du lien social et l'épanouissement artistique d’autre part.

 

 



[1] Toujours selon « l’étude sur les impacts de la culture sur le développement social et économique du Burkina-Faso »

[2] C’est-à-dire « un produit immatériel »

[3] Cité par F. Benhamou (2003) dans un extrait de son ouvrage intitulé : « L’économie de la culture »

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