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Ma parole
19 août 2013

VISION ECONOMIQUE DE LA CULTURE ZONGO Z. Zéphirin

VISION ECONOMIQUE DE LA CULTURE

ZONGO Z. Zéphirin

 

En parcourant la Politique Nationale de la Culture (PNC) du Burkina-Faso, il apparaît que dans sa conception, elle devrait entre autres s’inscrire dans une « stratégie de renforcement de l’économie créative de la culture et de la capacité du secteur culturel à produire, de manière compétitive, des biens et services, à fournir des emplois et des activités génératrices de revenus ». Cette ambition témoigne clairement d’une vision économique de la culture qui est communément acceptée de nos jours. De ce fait, l’argument « culture = levier de développement économique » semble désormais admis dès lors que les analyses prennent en considération des aspects tels que les impacts en termes de création de valeur ajoutée (c’est-à-dire la contribution au Produit Intérieur Brut), de création d’emplois, de dépenses en biens et services culturels par les ménages et aussi en termes de recettes fiscales. C’est dire que la dimension économique de la culture est largement reconnue même si les chiffres en la matière ne sont pas d’une importance assez considérable. Mais, il faut sans doute tenir compte du fait que le secteur reste peu couvert par les statistiques.

 

Déjà on peut noter, selon « l’étude sur les impacts de la culture sur le développement social et économique du Burkina-Faso », qu’avec 164 592 personnes, les emplois dans le secteur culturel représentaient 1,78% des actifs occupés en 2009. Ces emplois culturels sont majoritairement occupés par les hommes à hauteur de 57,3% contre 42,7% pour les femmes. Quant aux dépenses des ménages en biens et services culturels, l’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD) les a estimées à plus de cinq (05) milliards de FCFA en 2007. Les activités culturelles contribuent ainsi à la création de la richesse nationale à hauteur de 2,02% du PIB en 2009[1]. Cette contribution a été constituée en grande partie par les activités de la filière artisanat, art appliqué qui totalise un montant de 54,391 milliards de francs CFA, représentant 68,27% de la valeur ajoutée totale créée par le secteur. Cette évolution de l’importance économique de la culture au Burkina-Faso s’accompagne aussi d’une certaine façon d’une évolution politique importante. Il convient de noter en passant que c’est en 1985, soit sous la Révolution Démocratique et Populaire, que le ministère a bénéficié du statut de ministère plein non rattaché à un autre. La première politique culturelle codifiée du Burkina-Faso date de 2005.  Après quatre ans de mise en œuvre, elle a été remplacée par une nouvelle politique culturelle. En termes d’allocations budgétaires, le ministère de la culture a connu une évolution positive de sa dotation budgétaire qui est passée d’environ 2,5 milliards de FCFA en 2007 à 7,9 milliards en 2010. Cependant, à partir de 2010, on observe une baisse du budget du ministère qui était d’environ 4,6 milliards en 2012. De 2010 à 2011 par exemple, il y’a eu une baisse de 48,65% alors que le budget de l’Etat était à son niveau le plus élevé depuis 2003. Quant aux investissements, ils sont passés de 1,2 milliards en 2007 à 3 milliards de FCFA  en 2010.

 

Ces données permettent d’apprécier l’importance économique de la culture qui reste relativement faible mais se trouve dans une dynamique d’évolution positive. L’essentiel se trouve dans la capacité reconnue du secteur culturel à contribuer à la création de la richesse nationale et donc à la croissance économique des pays. Ces aspects économiques paraissent peut-être pour évidents. Pourtant, l'analyse économique de l'art et des biens culturels en général est longtemps restée en dehors des limites de la science économique. C’est dire que les économistes ont, pendant longtemps, ignoré l’art et la culture qui étaient pratiquement des domaines d’études « hors champ ». L’intérêt de l’économiste pour ces domaines ne s’est véritablement opéré que durant la deuxième moitié du 20ème siècle. Malgré ce désintérêt sur le plan analytique, des économistes comme Adam Smith, John M. Keynes, Alfred Marshall, David Ricardo entre autres ont quelquefois écrit sur le sujet sans que cela ne soit structuré dans une logique d’analyse économique spécifique au domaine de la culture. Par exemple, selon A. Smith ou David Ricardo, les dépenses pour les biens et services culturels relèvent du loisir et ne sauraient contribuer à la richesse nationale. En effet, à ce sujet A. Smith écrit que « […] les gens de lettres de toute espèce, ainsi que les comédiens, les farceurs, les musiciens, les chanteurs, les danseurs d'Opéra, etc. » sont des travailleurs non productifs (Livre II, chap. 3.). Un peu plus loin, il ajoutera que « leur ouvrage à tous (les travailleurs non productifs), tel que la déclamation de l’acteur, le débit de l’orateur ou les accords du musicien, s’évanouit au moment même où il est produit ». Mais cette considération n’était pas de l’avis de l’économiste classique Jean-Baptiste Say selon qui « l'industrie d'un musicien, d'un acteur, donne un produit du même genre[2] ; elle vous procure un divertissement, un plaisir, qu'il vous est impossible de conserver, de retenir, pour le consommer plus tard, ou pour l'échanger de nouveau contre d'autres jouissances. » (Traité d’Economie Politique, Livre I, chap. 13). Plus tard Alfred Marshall[3] remarque et reconnaît « la loi qui fait que plus on écoute de la musique, plus le goût pour celle-ci augmente ».  Autrement dit, la demande d’un type de bien culturel est fonction de la consommation dudit bien : Plus on le consomme, plus on a envie d’en consommer. Cette analyse sur la consommation des biens culturels faisait sortir ce type de consommation du cadre du calcul à la marge cher aux économistes néoclassiques selon lesquels l’utilité marginale est décroissante.

 

C’est dire que jusque-là, sans que ne se dessine à proprement parler une économie de la culture, on voit progressivement émerger certains des concepts qui en constituent le socle : effets externes, investissements longs, spécificité de la rémunération incluant un fort degré d’incertitude, utilité marginale croissante, importance de l’aide publique ou privée. Mais ce seront les travaux de William BAUMOL et de William BOWEN sur l’économie du spectacle vivant, ceux de Gary BECKER sur la consommation de biens dont le goût s’accroît au fil du temps, et ceux d’Alan PEACOK et de l’école du « choix public »qui ouvriront les voies à une analyse économique de la culture. L’économie de la culture s’entend alors comme la branche de l’économie s'intéressant aux aspects économiques de la création, de la distribution et de la consommation d'œuvres d’art ou encore se réfère à l’ensemble d’activités, opérateurs et institutions qui opèrent ou qui ont une influence déterminante sur les secteurs de la culture et qui interagissent et développent des échanges avec un public et un marché. Quant à la notion d’industries culturelles, elle correspond aux secteurs d’activité ayant comme objet principal la création, le développement, la production, la reproduction, la promotion, la diffusion ou la commercialisation des biens, de services ou de manifestations à contenu artistique et/ou culturelle.

 

Des raisons qui ont contribué à l’émergence d’une vision économique de la culture, trois peuvent être retenues : la mise en avant de la capacité du secteur à générer des flux de revenus et d’emplois, la nécessité d’évaluer les décisions culturelles et, au plan théorique, le développement de l’analyse économique vers des champs nouveaux tels que l’économie des activités non marchandes, l’économie des organisations, l’économie de l’information et de l’incertitude. Mais dans les années 1970, ce sont les subventions qui dominaient le secteur d’où la nécessité de justifier économiquement ces soutiens gouvernementaux. D’ailleurs les auteurs Baumol et Bowen dans leur article fondateur publié en 1966 montrent que les acteurs culturels ne peuvent survivre que par l’appui des subventions publiques sans lesquelles ces activités auraient de la peine à se développer. En effet, pour ces auteurs, l’activité culturelle de façon générale et plus spécifiquement le spectacle vivant fait face à une croissance inexorable de leurs coûts alors que la productivité des acteurs n’augmente pas. Pour illustrer cela, supposons un spectacle qui nécessitait la mobilisation de dix (10) comédiens pour une durée de deux (02) heures en 2000 et pour un coût donné. Pour donner le même spectacle en 2013, on aura toujours besoin certainement de dix (10) comédiens et un temps de deux (02) heures. Mais ce dernier spectacle n’aura pas le même coût qu’en 2000 en ne considérant que la rémunération des acteurs qui augmentera. D’où l’idée d’une augmentation des coûts face à une absence de gains de productivité puisqu’on aura toujours besoin du même nombre d’acteurs et du même temps. Les acteurs ont donc besoin des subventions pour pouvoir supporter cette croissance des coûts et éviter le déclin. Ce paradoxe est baptisé « la maladie des coûts » par les auteurs et connue dans la littérature sous l’appellation de « Maladie de Baumol ».

 

Cette situation prévaut toujours dans nos pays où le secteur culturel, malgré l’importance de son rôle économique, peine à s’insérer véritablement dans une logique de rentabilité. Les financements sont toujours dominés par les subventions que ce soit de la part des autorités gouvernementales ou des partenaires techniques et financiers. Par exemple, le ministère de la culture du Burkina-Faso dispose d’un fond d’environ 185 millions qui devrait permettre d’appuyer financièrement et sous forme de subvention les acteurs culturels (Appuis aux activités culturelles, musique, cinéma). Au titre de l’année 2012, le montant des subventions accordées à travers le Comité chargé de l’Examen des Requêtes de Financement des Activités Culturelles (CERFAC) s’élève à 28,9 millions de FCFA. Du côté des partenaires bilatéraux et multilatéraux, les subventions dans les domaines de la culture et des loisirs s’élèvent à plus de 9, 8 milliards de 2005 à 2011. Même si les subventions ne sont pas les sources principales de financement des acteurs culturels, il n’en est pas moins qu’elles demeurent relativement importantes. Cette prépondérance traduit clairement l’assignation traditionnelle d’une vocation sociale à la culture. Pourtant, le Burkina-Faso est un pays qui est connu pour ses nombreuses manifestations culturelles. On peut citer le FESPACO, le SIAO, le SITHO, la SNC et les associations culturelles privées des Recréatrales, de Jazz à Ouaga, de Waga Hip hop, des Rencontres chorégraphiques Dialogues du corps, du Wedbindé, du Liwaga. Chacune de ces manifestations draine, à chaque édition, un public international, africain et national important. Ce dynamisme culturel devrait favoriser l’émergence d’une culture tournée vers la recherche de profits impliquant de ce fait les structures de financement classiques que sont les banques et les établissements financiers. Mais cela tarde à venir.

 

Dans tous les cas, cette évolution conceptuelle du rôle de la culture et de la logique d’intervention des acteurs culturels qui reste bien nécessaire, justifierait difficilement à priori une mise en quarantaine des subventions dans la mesure où la culture comporte des aspects marchands et non marchands. En effet, il importe d’avoir des sources de financement à but non lucratif (subventions, mécénat d’entreprise, mécénat individuel, financement en provenance de la coopération bilatérale et multilatérale,...) qui doivent rester fondées sur une logique de soutien et de promotion des secteurs culturels et d’autres (financement bancaire, sponsoring, financement en capital des entreprises culturelles,…) fondées par contre sur une logique de rentabilité économique directe ou indirecte. Cette double nécessité se justifie par le fait que les industries culturelles sont non seulement à la base de création de richesses marchandes mais aussi des sources de valeur symbolique et identitaire. Par conséquent, l’articulation « financement marchand/financement non-marchand » semble alors être devenue de nos jours le défi auquel sont confrontés les gouvernements des pays en développement en général et ceux du Burkina-Faso en particulier. Ce défi se trouve dans la nécessité de concilier d’une part la logique du marché fondée sur la recherche du profit et la logique d’une culture orientée vers la création du lien social et l'épanouissement artistique d’autre part.

 

 



[1] Toujours selon « l’étude sur les impacts de la culture sur le développement social et économique du Burkina-Faso »

[2] C’est-à-dire « un produit immatériel »

[3] Cité par F. Benhamou (2003) dans un extrait de son ouvrage intitulé : « L’économie de la culture »

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